27 avril 2021

Maria Grazia Franco, capitaine du MY Halo

Le Halo fait actuellement l’objet d’un refit de grande ampleur au MB92 Barcelone. Une série de travaux sont menés sur le navire, notamment une extension d’un mètre à la poupe, une réorganisation des ponts extérieurs et un réaménagement intérieur. Nous avons rencontré la capitaine Maria Grazia Franco, au cours de la semaine précédant la Journée internationale des femmes, pour qu’elle nous fasse découvrir ce que veut dire être femme capitaine et quel a été son parcours pour en arriver là.

 

Qui ou qu’est ce qui vous a poussé à vous engager dans cette carrière et arriver où vous en êtes aujourd’hui ?

Ma passion pour la mer a commencé quand j’étais jeune, avec la plongée qui m’a amenée à la voile. Alors que j’étudiais le génie maritime à l’université, je donnais également des cours de piano pour financer cette passion, et juste avant d’obtenir mon diplôme universitaire, je suis partie au salon de la DEMA aux États-Unis pour trouver ma voie dans la plongée sous-marine. C’est au cours de ce salon que j’ai pris contact avec un organisme de formation de plongée australien qui cherchait des instructeurs. J’ai déménagé dans le Queensland en 1998, pour finalement travailler comme matelot et monitrice de plongée sur un paquebot de croisière. C’était une merveilleuse opportunité de pratiquer mes deux passions à la fois, alors j’ai sauté sur l’occasion.

Au bout de trois ans de formation comprenant le brevet de plongeur niveau 5, j’ai fait mes premiers pas dans l’industrie des superyachts dans le Pacifique, à bord du M/Y Maupiti, puis j’ai enchainé plusieurs autres postes, tout en étant basée à Antibes.

En 2002, avec tout juste en poche le brevet de capitaine de yacht 3000 que j’ai obtenu à Plymouth, j’ai décroché mon premier emploi de capitaine en Espagne sur un grand voilier de 38 mètres. C’est suite à la vente de ce yacht que j’ai eu le premier poste de mes rêves qui m’offrait des perspectives passionnantes en tant officier à bord du M/Y Octopus, le plus grand superyacht du monde à l’époque, dont la construction s’achevait. C’était un peu revenir en arrière professionnellement, mais ce fut une expérience merveilleuse qui m’a permis d’obtenir dans un second temps plusieurs certifications, notamment le HND (Higher National Diploma) en sciences maritimes et un nombre incalculable de certificats tels qu’opérateur en positionnement dynamique et officier d’appontage d’hélicoptère. J’ai pu aussi parcourir tous les océans sous toutes les latitudes.

Après 6 ans et demi sur l’Octopus, en 2009 j’ai décidé qu’il était grand temps de trouver un poste de capitaine. Et c’est là que les choses se sont compliquées… Il aura fallu que j’attende 2014, d’avoir de l’ancienneté et après plusieurs de postes sur des superyachts tels que sur le M/Y Madsummer (qui a changé de nom en M/Y TV) et alors que je venais de revenir dans le secteur des croisières, plus égalitaire entre les sexes, j’ai été approchée par la direction de M/Y Mariu, dont le propriétaire recherchait spécifiquement une femme capitaine. Enfin ! Il y avait peu de concurrence, j’ai obtenu le poste, et ensuite tout s’est bien passé.

 

Y a t-il eu des obstacles dans ce parcours?

J’ai postulé pour des centaines de postes qui m’ont été refusés parce que j’étais une femme, généralement pour des « raisons pratiques »… Mais je n’ai jamais abandonné mon rêve et j’ai eu beaucoup de chance. Si on ne m’avait pas proposé le poste à bord du Mariu, je pense que j’aurais probablement trouvé un poste de capitaine chez Windstar Cruises, qui m’aurait de toute façon ramenée au secteur des superyachts.

Dans le monde de la navigation commerciale, il y a beaucoup moins de discrimination que dans le yachting, où la nationalité peut également être un problème. Là, j’ai senti que je pouvais faire une carrière uniquement basée sur mes compétences et mes connaissances. En tant que femme dans un secteur dominé par les hommes, on nous demande d’être meilleures que les hommes.

  

Que pensent les passagers d’avoir une femme capitaine ?

Le Halo est un yacht strictement privé, mais sur les charters où j’étais avant, les clients étaient plutôt surpris, certains même très enthousiastes à l’idée d’avoir une femme capitaine. D’après mon expérience, les feedbacks ont été pour la plupart très positifs.

« Les organismes de gestion et de recrutement ont un rôle important à jouer pour faire évoluer les mentalités des propriétaires, en particulier des primo-accédants ».

Quels progrès (s’il y en a) constatez-vous dans le secteur ?

Oui, il y a indéniablement des progrès dans le secteur, mais c’est trop lent. Ce n’est pas facile de changer les mentalités. Le changement doit venir d’en haut (des propriétaires, des sociétés de gestion) et des autres décideurs du secteur. Il y a de très bons exemples de femmes travaillant à un niveau élevé, comme Rose Damen, directrice générale d’Amels / Damen Yachting, Nina Jensen, PDG de REV Ocean, la capitaine Kate McCue chez Celebrity Cruises, et j’ai travaillé aussi avec quelques femmes cheffes de projet chez MB92.

Il y a de plus en plus d’associations pour les femmes dans le secteur, comme le programme « She of the Sea », dont la fondatrice s’est inspirée de femmes capitaines comme moi.

  

Avez-vous un message ou un conseil pour celles qui voudraient suivre vos traces dans ce domaine ?

Travaillez dur, engagez-vous totalement pour obtenir ce que vous voulez, investissez si possible dans les connaissances et la préparation, donc accumulez de l’expérience et n’abandonnez jamais ! Croyez toujours en vous, même lorsque vous êtes à terre. Je suis quelqu’un de déterminé, ce qui est une qualité nécessaire pour réussir dans un poste à responsabilité dans ce secteur. Vous devez également travailler dur et être le genre de personne qui se relève après une chute. Les gens qui réussissent sont ceux qui se relèvent à chaque fois et plus que les autres. Et il faut un peu de chance bien sûr ! Être au bon endroit au bon moment.

Malheureusement, si vous voulez devenir capitaine, vous devrez peut-être faire des choix difficiles. En tant que femme capitaine, j’ai dû faire des sacrifices, par exemple ne pas avoir d’enfants… Je ne serais pas heureuse dans un poste à terre ou en étant une maman à temps partiel. C’était un choix, capitaine ou mère. J’ai cependant une famille, 2 enfants poilus à quatre pattes et un mari que j’ai rencontré en faisant du parachutisme et que j’ai encouragé à quitter son entreprise à terre pour entrer dans le secteur en tant qu’ingénieur électrotechnicien.

Dans ce domaine, vous devez aimer votre travail. Mais comme on dit, choisis un travail que tu aimes, et tu n’auras pas à travailler un seul jour de ta vie.

 

A votre avis que faut-il faire de plus sur le lieu de travail ou plus largement dans le secteur ?

Les mentalités doivent changer chez les gestionnaires et les recruteurs. Ils conseillent les propriétaires, en particulier les primo-accédants. et sont en mesure de les influencer dans la manière dont ils sélectionnent l’équipe.

De même, je pense que nous devons améliorer la diversité à bord car un équipage diversifié et multiculturel est une vraie force. Cela contribue à favoriser un environnement de travail respectueux et l’équipe travaille mieux ensemble.

 

Quels sont vos espoirs pour l’avenir ?

J’espère qu’il y aura de plus en plus de professionnalisme au sein des équipages. De la part des personnes à la recherche d’engagements de courte durée et surtout de celles qui cherchent à s’engager véritablement dans la carrière.

Tant de progrès ont déjà été réalisés, avec de plus en plus de femmes à des postes à responsabilité, mais il y a encore du travail à faire.

Quant à moi, je suis très heureuse où je suis tant que je peux continuer à m’améliorer et à apprendre.

 

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